Claire Barakat

Interview de Claire Barakat

- Chercheuse à l’INSERM -

Quels écueils votre fille a-t-elle rencontrés au début de sa scolarité dans le système traditionnel ?

« Nous on arrivait de Californie, où tout était très cool, et là c’était un système très rigide, tout était codifié, il fallait rentrer dans des cases.  Par exemple, on nous avait dit « votre fille (elle  avait 5 ans) elle a du retard parce qu’elle ne sait pas écrire en cursif », et à côté de ça elle parlait couramment anglais et français, elle était bilingue, mais ça ne rentrait pas dans les cases d’acquis, parce que en fait, en France on a tendance quand même à voir souvent le négatif, les lacunes, et pas à mettre en valeur les capacités de l’enfant et ses atouts. » 

« Et puis on voyait notre fille, quand même dépérir, sa joie de vivre disparaître.  En Californie les enfants étaient beaucoup dehors et on considérait que les enfants apprennent en jouant, surtout au jardin d’enfants, et là elle passait beaucoup de temps assise sur sa petite chaise, à coller des gommettes et on sentait que ça n’allait pas.  Donc dès qu’on a pu, on s’est rapproché de l’école de Verrières-le-Buisson, et depuis 10 ans elle est là et très heureuse. »

De l’importance du « beau » dans la pédagogie Steiner-Waldorf

« Quand elle est arrivée ici, pour elle un dessin c’était 3 traits au feutre, et c’était bâclé, elle passait à autre chose.  Et là on lui a appris à passer du temps sur un dessin, à finir un dessin, à mettre un fond et tout ça, avec beaucoup de patience, à faire du beau et, ça peut paraître insignifiant mais faire un beau dessin c’est déjà extrêmement gratifiant.  Et puis ça développe le sens artistique bien sûr, la créativité, et puis pour elle ça a surtout développé la volonté et c’est vraiment une caractéristique de la pédagogie. » 

« Donc elle avait tendance à papillonner, à passer d’un truc à l’autre, et là, de passer du temps, de finir quelque chose, ça a été extrêmement bénéfique pour elle.  Et maintenant, le dessin et la peinture, c’est des vraies passions pour elle.  Dès qu’elle a un peu de temps elle dessine, ça la calme, ça la pose, ça l’aide à moins cogiter, parce que quand même elle a tendance à être beaucoup dans le mental.  Ça c’est vraiment un apport de la pédagogie, dans une autre école elle n’aurait pas développé ça, et puis comme nous on n’est pas du tout artistes, on ne lui aurait peut-être pas apporté cette dimension-là. »

Quelles sont selon vous les principales valeurs transmises à l’école Steiner ?

« Les valeurs transmises à l’école, c’est avant tout le respect de l’autre, le respect de la nature, le courage, la volonté, la persévérance, la tolérance, l’ouverture aux autres. »

Pensez-vous que la laïcité soit respectée dans les écoles Steiner ?

« Il y a des fêtes qui sont particulières à l’école Steiner, des fêtes qui rythment l’année, au fil des saisons.  Comme par exemple aujourd’hui, c’est la fête de la St-Jean : donc on célèbre le solstice d’été.  Ça a le nom d’un saint, mais ce n’est pas religieux du tout, c’est une fête culturelle, traditionnelle.  Et ces fêtes elles sont très importantes pour la vie de l’enfant, elles rythment l’année et ils y sont tous très attachés, les parents aussi, c’est l’occasion de se retrouver. »

« Donc non, il n’y a pas de religion enseignée ici, il n’y a pas de dogme, donc pour moi c’est complètement laïc.  Alors il y a peut-être, la seule chose, c’est le poème qui est récité le matin, c’est un très beau poème, de gratitude, pour la nature, pour tout ce qu’on a, et il y a le mot dieu qui est mentionné.  Nous, ça ne nous dérange pas du tout, parce que dieu on met ce qu’on veut derrière, ça peut être l’univers, le surmoi, enfin tout ce qu’on veut, mais nous ça ne nous dérange pas.  Et je pense que dieu c’est un mot universel, et il ne faut pas s’attacher à ça, donc oui, moi je considère que c’est laïc. »

Les écoles Steiner peuvent-elles tomber dans des dérives sectaires selon vous ?

« Non, pas du tout, et même au contraire, parce que ici c’est la libre pensée.  Il n’y a pas de gourou, on part quand on veut, il n’y a pas d’endoctrinement.  Non, au contraire, quand on voit les enfants ils pensent tous différemment.  Il n’y a pas comme dans certains endroits de clivage par rapport aux opinions, ils respectent la diversité.  Au niveau des parents c’est pareil je pense, il y a toute la diversité sociétale qui est représentée, il y a toutes les opinions politiques, les croyances religieuses et même au niveau de l’éducation on n’élève pas tous nos enfants de la même façon, donc non.  Et puis si vous regardez la sortie de l’école, il n’y en a pas deux habillés pareil, pour moi c’est vrai qu’à l’adolescence ils ont tendance à tous s’habiller pareil, et bien ici non, ils sont tous libres. »

Comment ressentez-vous les attaques perpétuées contre les écoles Steiner-Waldorf sur les réseaux sociaux et les médias ?

« Eh bien je suis vraiment blessée, et je trouve ça très injuste que des gens qui ne connaissent pas la pédagogie en plus, souvent se permettent de dire quel genre de parents mettent leurs enfants dans cette école, alors que justement on a tout fait, on s’est rapproché de l’école, on donne énormément.  Et puis c’est totalement injuste envers les enseignants, qui sont extrêmement dévoués, qui donnent de leur temps, de leur personne, comme nulle part ailleurs. »

L’anthroposophie, pour vous, c’est quoi ?

« L’anthroposophie, c’est ce qui sous-tend la pédagogie, ce qui permet de prendre l’enfant dans sa globalité, de manière holistique. »

Quels sont les éléments de la pédagogie qui vous inspirent dans votre profession de chercheuse ?

« Pour moi il y a un lien avec le métier que je fais, la recherche.  On a tendance à être tous spécialisés dans notre petit domaine, à ne voir que la petite cellule cancéreuse, comment elle devient cancéreuse, et on oublie tout le facteur humain qui est derrière, qui est le plus important en fait.  C’est nos pensées, c’est notre psychisme qui joue un très grand rôle.  Et donc pour moi il y a un parallèle avec la pédagogie, où l’être humain, l’enfant, ne se réduit pas à un cerveau, qu’on essaye de remplir. »

« C’est un tout en fait, par exemple dans l’apprentissage des tables de multiplication, on va rythmer avec le corps.  Le corps est très important dans l’apprentissage, les mains, et puis le sens artistique.  C’est en mettant tous ces facteurs ensemble qu’on peut vraiment intégrer des connaissances, parce qu’elles sont intégrées non seulement dans la tête, mais dans le corps. »