28 août 2022 - Interview de Julien Benhamou

- Architecte -

« Le grand apport de la pédagogie Steiner c’est, me concernant, principalement, toujours, lier le corps et l’esprit.  Et ensuite, le deuxième point, c’est l’écoute. »

Quel souvenir gardez-vous de votre arrivée dans l’école au Primaire ?

« En gros dans l’école Steiner on a sa classe, que l’on garde pendant un certain nombre d’années – on se suit -, et donc j’ai intégré un  nouveau groupe : je l’ai intégré très très rapidement.  On m’a accueilli, avec beaucoup de gentillesse, beaucoup de bienveillance.  Bienveillance, c’est un mot magique aujourd’hui, mais c’est important parce que ça se traduit : quand vous conduisez une voiture, ça se traduit quand vous êtes dans un repas avec des amis. »

« Je me suis remis à apprendre, je me suis remis à travailler un peu le soir, et la première chose qui m’a marqué, après cet élément-là, c’est de faire autre chose aussi que de rester en classe. »

« On a les outils ici à Steiner, il y a plein d’ateliers différenciés.  On peut faire de la couture – je m’en sers tous les jours de la couture -, on recoud ses pantalons, voilà, je sais le faire.  Je sais faire un panier en osier, je sais sculpter le bois, je sais travailler l’argile…  Et ça on l’apprend dès qu’on a huit ans, et c’est important parce que tous ces éléments-là, que ce soit le bois – ça nous apprend à canaliser une force -, que ce soit l’argile – ça nous apprend à avoir un aspect délicat avec son corps – que ce soit faire de la forge, avec un feu, du métal – ça apprend le risque. »

La pédagogie vous accompagne-t-elle dans votre vie professionnelle ?

« Je suis architecte aujourd’hui, je passe ma journée à mélanger des idées, que je dois formaliser sur un document, un dossier, une feuille, blanche, partir d’une feuille blanche.  Donc imaginer, ça c’est très important aussi, ici on nous a appris à imaginer beaucoup, et ensuite le rendre concret.  En se servant aussi un peu de ses mains, en participant sur les chantiers, et donc du coup j’ai l’impression que c’est un peu mon mode d’emploi initial que j’applique aujourd’hui. »

Quel parcours vous a mené à votre profession d’architecte ?

« Je n’ai pas voulu aller jusqu’au bout du cursus, parce que j’avais des envies de travailler avec mes mains, et donc j’ai réintégré à seize ans une voie professionnelle pour faire de l’ébénisterie.  Ça a duré quatre ans, je me suis éclaté, c’était génial, j’ai fait plein de meubles historiques, et en fin de parcours j’ai commencé à faire des meubles plus contemporains, à dessiner mes meubles. » 

« Donc j’étais déjà un peu en recherche de créer et ça, ça m’a amené à me dire « ça peut être intéressant finalement de dessiner ces meubles, plutôt que les réaliser » et j’ai intégré une école de design pendant deux ans, et après j’ai intégré une école d’architecture, parce que je me suis dit « si je dessine mes meubles, il faut peut-être dessiner la maison qu’il y a autour.  » 

« Et aujourd’hui eh bien je suis architecte, je dessine des maisons, des immeubles, et je rénove des espaces avec grand plaisir toujours de dessiner, en ayant toujours eu cette origine de pouvoir appliquer les concepts d’une manière manuelle. »

La laïcité est-elle respectée selon vous dans les écoles Steiner ?

Pour moi elle est 100 %.  Pourquoi, déjà je suis issu d’une confession juive, je ne suis pas du tout religieux, je ne l’ai jamais été. » 

« Et je suis arrivé dans une école qui pouvait avoir quelques cours de catholicisme, qui étaient complètement optionnels, et dont je n’ai jamais participé, non pas parce que je n’avais pas envie mais parce que je ne me retrouvais pas dans cette partie de l’éducation, et on m’a laissé suivre mon chemin, sans obligation, sans jugement.  Aucun signe ostentatoire, beaucoup d’origines différentes dans cette école, donc non, non, je ne me suis jamais senti dans l’obligation de quoi que ce soit, toujours, toujours très libre. »

Pensez-vous que les écoles Steiner soient sectaires ?

« Je me souviens, ici à Verrières, on est dans un écrin de verdure, avec un petit manoir, un château, c’est magnifique.  On a des grosses entrées et des arbres majestueux, et on voit des enfants arriver le matin, comme ça, rentrer dans ce petit château, il y a presque un petit côté « roman ».  Qu’est-ce que font ces élèves de cette école privée qu’on ne connaît pas bien, qui rentrent dans ce château qu’on pourrait imaginer luxueux ?  Mais qu’est-ce qui se passe à l’intérieur ? » 

« Finalement ce n’est que le mystère qui fait que les gens se posent des questions comme dans tout.  Si vous ne savez pas ce que fait votre voisin, vous allez imaginer tout ce que vous pouvez.  Il ne se passe rien de particulier, dans le sens où vous rentrez, vous avez votre professeur, vous avez vos copains, vous retrouvez vos copains, chez les uns, chez les autres en sortie de l’école.  Je ne me suis pas senti dans une « communauté », je me suis senti dans un endroit assez vivant, avec beaucoup de partage, c’est vrai que les parents participent, il n’y a pas d’idéologie, le but c’est juste occuper la vie scolaire de l’enfant, c’est comme ça que je l’ai vécu en tout cas. »

Quel lien faites-vous entre l’anthroposophie et la pédagogie Steiner ?

« Il y a la pédagogie Steiner, qui est une pédagogie en tout cas ici à l’école, qui va nous aider à construire le raisonnement de l’enfant, la scolarité, les professeurs dans leur éducation, etc.  Et puis après vous allez avoir effectivement l’anthroposophie, basée sur des ouvrages qu’on va parfois déclarer ésotériques, mais finalement je trouve que c’est tout simplement le même concept qu’un ouvrage de yoga qui va nous aider à travailler sur le souffle, à savoir respirer.  C’est simplement des aides un peu psychologiques pour essayer de concentrer son esprit sur ce que l’on fait. »