1er septembre 2022 - Interview de Marie Poirier

- chercheuse à l’INSERM -

– Quels écueils votre fille a-t-elle rencontrés au début de sa scolarité dans le système traditionnel ?

« Nous on arrivait de Californie où tout était très cool, et là c’était un système très rigide, […] codifié, il fallait rentrer dans des cases. Par exemple, on nous avait dit « […] elle a du retard parce qu’elle ne sait pas écrire en cursif », et à côté de ça […] elle était bilingue, mais ça ne rentrait pas dans les cases d’acquis, […] en France on a tendance quand même à voir souvent le négatif, […] pas à mettre en valeur les capacités de l’enfant et ses atouts.
[…] on voyait notre fille quand même dépérir, sa joie de vivre disparaître. En Californie les enfants étaient beaucoup dehors et on considérait que les enfants apprennent en jouant, surtout au jardin d’enfants. Là elle passait beaucoup de temps assise sur sa petite chaise, à coller des gommettes et on sentait que ça n’allait pas. Donc […] on s’est rapproché de l’école de Verrières-le-Buisson, et depuis 10 ans elle est là et très heureuse. »

– De l’importance du « beau » dans la pédagogie Steiner-Waldorf

« Quand elle est arrivée ici, pour elle un dessin c’était 3 traits au feutre, c’était bâclé, elle passait à autre chose. […] on lui a appris à passer du temps sur un dessin, à finir un dessin, à mettre un fond […], avec beaucoup de patience, à faire du beau et, ça peut paraître insignifiant mais faire un beau dessin c’est déjà extrêmement gratifiant. Et puis ça développe le sens artistique […], la créativité, […] ça a surtout développé sa volonté et c’est vraiment une caractéristique de la pédagogie.
[…] elle avait tendance à papillonner, à passer d’un truc à l’autre, et là, de passer du temps, de finir quelque chose, ça a été extrêmement bénéfique pour elle. Et maintenant, le dessin et la peinture, c’est des vraies passions pour elle. Dès qu’elle a un peu de temps elle dessine, ça la calme, ça la pose, ça l’aide à moins cogiter, […] »

– Quelles sont selon vous les principales valeurs transmises à l’école Steiner ?

« Les valeurs transmises à l’école, c’est avant tout le respect de l’autre, le respect de la nature, le courage, la volonté, la persévérance, la tolérance, l’ouverture aux autres. »
– Pensez-vous que la laïcité soit respectée dans les écoles Steiner ?
« Il y a des fêtes qui sont particulières à l’école Steiner, des fêtes qui rythment l’année, au fil des saisons. Comme par exemple aujourd’hui, c’est la fête de la St-Jean : […] on célèbre le solstice d’été. Ça a le nom d’un saint mais ce n’est pas religieux du tout, c’est une fête culturelle, traditionnelle. […]
Donc non, il n’y a pas de religion enseignée ici, il n’y a pas de dogme, […] c’est complètement laïc. […] »

– Les écoles Steiner peuvent-elles tomber dans des dérives sectaires selon vous ?

« Non, pas du tout, et même au contraire, parce que ici c’est la libre pensée. Il n’y a pas de gourou, on part quand on veut, il n’y a pas d’endoctrinement. […] quand on voit les enfants ils pensent tous différemment. Il n’y a pas comme dans certains endroits de clivage par rapport aux opinions, ils respectent la diversité. Au niveau des parents c’est pareil je pense, il y a toute la diversité sociétale qui est représentée, il y a toutes les opinions politiques, les croyances religieuses et […] on n’élève pas tous nos enfants de la même façon, […] »

– Comment ressentez-vous les attaques perpétuées contre les écoles Steiner-Waldorf sur les réseaux sociaux et les médias ?

« […] je suis vraiment blessée, je trouve ça très injuste que des gens qui ne connaissent pas la pédagogie en plus, souvent se permettent de dire quel genre de parents mettent leurs enfants dans cette école, alors que justement on a tout fait, on s’est rapproché de l’école, on donne énormément. Et puis c’est totalement injuste envers les enseignants, qui sont extrêmement dévoués, qui donnent de leur temps, de leur personne, comme nulle part ailleurs. »

– L’anthroposophie, pour vous, c’est quoi ?

« L’anthroposophie, c’est ce qui sous-tend la pédagogie, ce qui permet de prendre l’enfant dans sa globalité, de manière holistique. »

– Quels sont les éléments de la pédagogie qui vous inspirent dans votre profession de chercheuse ?

« Pour moi il y a un lien avec le métier que je fais, la recherche. On a tendance à être tous spécialisés dans notre petit domaine, […] on oublie tout le facteur humain qui est derrière, […] le plus important en fait. C’est nos pensées, c’est notre psychisme qui joue un très grand rôle. […] pour moi il y a un parallèle avec la pédagogie, où l’être humain, l’enfant, ne se réduit pas à un cerveau qu’on essaye de remplir.
C’est un tout en fait, par exemple dans l’apprentissage des tables de multiplication, on va rythmer avec le corps. Le corps est très important dans l’apprentissage, les mains, et puis le sens artistique. C’est en mettant tous ces facteurs ensemble qu’on peut vraiment intégrer des connaissances, parce qu’elles sont intégrées non seulement dans la tête, mais dans le corps. »