29 août 2022 - Interview de Marie Poirier

- Enseignante-chercheuse à l’Université de Paris-Saclay -

« On évolue dans une société, en France, et en particulier en région parisienne, et encore plus sur la bassin de Paris-Saclay, qui est très intellectuelle.  La pédagogie que nous on rencontre ici répond à ces questions de nourrir les enfants autrement que uniquement intellectuellement. »

Quel est selon vous le principal apport de la pédagogie Steiner chez vos quatre enfants ?

« Je pense que l’apport principal, c’est qu’ils vont bien.  En fait ce sont des enfants qui vont bien, qui ne savent pas forcément où ils vont, mais qui y vont quand même, et avec assurance. »

Au primaire, l’enfant passe six années avec le même professeur.  Avez-vous rencontré des difficultés de ce fait ?

« A chaque enfant, les enseignants qu’on a rencontrés étaient des enseignants qui leur convenaient. »

St Jean, St Martin, St Michel…  l’école pratique-t-elle une éducation religieuse ?

« On est dans un pays judéo-chrétien, où les fêtes, les jours fériés, sont des jours souvent rattachés à des faits religieux, et quand on fête la St-Martin et quand on fête la St-Jean, on les appelle St-Martin et St-Jean, mais si on réfléchit un tout petit peu ça va bien au-delà en fait : les équinoxes. »

« Je suis plus attachée au fond des choses qu’à la forme, donc peut-être qu’il y a des choses qui ne me choqueront pas et qui interpelleront d’autres personnes.  Mais en l’occurrence je n’ai jamais rencontré – et pourtant ça fait un moment qu’on est ici, puisqu’on est là depuis 13 ans –, de choses qui aient pu m’interpeler ; sur un éventuel caractère religieux dans l’éducation qui est faite à cette école. »

L’anthroposophie, pour vous, c’est quoi ?

« Je ne pourrais pas répondre, je ne sais pas ce que c’est. »

Qu’observez-vous de « différent » chez vos élèves issus d’école Steiner ?

« Quand je disais que le fond était important, et bien le fond fait que l’on a des enfants qui sont là, bien là où ils sont.  Et quand ils décident de faire des maths et de la physique puisque moi je suis chercheur en physique, dans le domaine de l’imagerie médicale, on a des gens en face de nous qui ont du répondant et qui n’ont absolument pas de difficultés à trouver leur place dans un cursus classique, puisqu’on retourne sur des cursus classiques. »

La pédagogie Steiner-Waldorf prépare-t-elle les chercheurs de demain ?

« Dans les profils de personnes qu’on va rechercher – alors évidemment ça reste quand même très élitiste –, on va rechercher des gens qui ont fait des post-doctorats à l’étranger, on cherche des gens qui sont capables de partir, de se déraciner pour ensuite revenir avec une culture différente.  Alors là c’est une culture de la recherche, mais on cherche des gens qui ont cette capacité-là, et ça c’est quelque chose qu’on fait faire aux enfants dès la 9ème classe, puisqu’on leur permet de partir trois semaines, puis ensuite trois mois, dans un pays étranger. » 

« Donc ça c’est pareil, plus on l’apprend tôt mieux c’est.  On cherche des gens qui sont créatifs, on cherche des gens qui ont de l’imagination et qui n’ont pas peur de se lancer.  Parce que ce qui se fait beaucoup maintenant dans la recherche française, c’est la création de « startup », c’est de s’autoriser à rêver un peu, quitte à revenir ensuite sur des choses un peu plus classique, et ça c’est, il me semble, des choses qu’on apprend, qu’on autorise aux jeunes ici. »

« Et un autre point que je n’ai pas abordé, dans le cursus des enfants, ils ont des fêtes de trimestre : tous les trimestres ils se présentent sur scène.  Puis ils font des pièces de théâtre pendant la 8ème, ils montent une pièce de théâtre en entier.  Ils font de l’orchestre : ils ont énormément de moments dans leur cursus et dans leur vie où ils vont se présenter face à l’autre, ce qui les désinhibe quelque part et je le mets vraiment avec un côté très positif.  Ils n’ont pas peur de venir se présenter, et puis ensuite il y a la pièce de 11ème, il y a le chef-d’œuvre de la 12ème, donc le chef-d’œuvre c’est un projet, un projet qu’ils vont mener du début jusqu’à la fin durant une année, donc ça leur demande d’avoir de la persévérance, d’être capable d’avoir de l’endurance dans le temps pour pouvoir mener ce projet à bien, et ensuite de venir le présenter aux autres, et ç’est un projet qui est personnel, donc ils vont venir s’ouvrir aux autres. » 

« C’est exactement ce qu’on leur demande de faire ensuite dans le supérieur.  Et donc voilà, tout au long de leur cursus, on les stimule sur la créativité, en tout cas on leur laisse cet espace, on leur permet d’apprendre à se présenter, à discuter devant l’autre, même s’ils n’aiment pas, avec en plus la bienveillance des parents, parce que là on sort de fête de trimestre : les parents sont plutôt extrêmement heureux de voir leurs enfants, et les enfants sont content de montrer ce qu’ils savent faire, et ça c’est aussi la pédagogie, c’est de la pédagogie positive.  C’est de montrer ce qu’on sait faire et se tromper et ce n’est pas grave, et de recommencer, et c’est ça la recherche. » 

« La recherche c’est on essaye, on se trompe, on tombe, on se relève : on essaye, on tombe, on se relève .  Et dans la recherche, il y a le fait de chercher, il y a le fait d’être créatif et il y a le fait de communiquer, et ça c’est quelque chose qu’on ne fait pas assez bien, c’est de raconter aux autres ce qu’on fait, parce qu’on est dans des tours d’ivoire, on fait des choses très, très pointues, mais si on ne descend pas de temps en temps expliquer et raconter ce qu’on fait, eh bien ça crée un clivage.  Et c’est quelque chose qu’eux apprennent dès tout petit, donc ça va être naturel et c’est quelque chose qui ne leur demandera pas d’effort et qu’ils vont faire relativement spontanément. »