8 décembre 2022 - Interview de Prunella Rivière

- Comédienne, autrice -

Que retenez-vous des douze années passées à l’école Steiner-Waldorf de Perceval ?

« J’ai des amis, on se connaît depuis 40 ans, ça c’est un sacré apport.  Une ouverture, une poésie je pense aussi, un rapport à tout ce qui est de l’ordre de la création, mais aussi bien intellectuelle qu’artistique.  Voilà, quelque chose qui n’est pas empêché, tout est possible en fait. »

De l’importance du « vivant » dans la pédagogie Steiner-Waldorf

« L’important du vivant était au cœur de nos journées en fait.  Je suis restée 12 ans à l’école, et je crois que j’étais traversée en fait par tout ça, sans vraiment le comprendre à l’époque, mais maintenant je vois à quel point, au quotidien, c’est là, à travers ma vision des choses.  C’est-à-dire que l’élève doit être au cœur du système d’éducation, le malade doit être au cœur du système médical : que l’être humain, et la nature, et le vivant soient au cœur des préoccupations, et non pas l’exploitation du monde.  C’est très naïf, mais en même temps c’est millénaire. »

Pensez-vous que les écoles Steiner-Waldorf respectent la laïcité ?

« On nous parlait de la religion, en ceci qu’elle est multiple, et je n’ai jamais senti, d’aucune manière que ce soit, un quelconque prosélytisme.  Tout était toléré, parce que la laïcité c’est vraiment une question de tolérance en fait. »

Avez-vous l’impression d’avoir grandi dans une secte ?

« Il n’y a rien de sectaire, je ne vois même pas où est la question.  On ne nous a jamais parlé de Steiner, on ne nous a jamais parlé de pédagogie, on ne nous a jamais imposé des choses qui nous enfermait.  Tout a toujours été question d’ouverture, on nous a amené à voyager, à rencontrer, à faire des associations pour aider des gens qui n’étaient pas liés à l’anthroposophie.  C’est vraiment une question de gens qui cherchent à nous enfermer dans un endroit où il n’y a pas d’enfermement. » 

« D’ailleurs la plupart de mes camarades de classe sont dans des choses très, très variées, enfin il n’y a pas du tout, encore une fois…  non, il n’y a rien de sectaire.  Tout était question d’ouverture, aller vers, donc je ne vois pas comment en allant vers on est sectaire, puisqu’on n’allait pas vers les mêmes personnes que nous, ou vers des gens qui avaient été dans des écoles Wadorf : on allait vers le monde. »

Quel a été selon vous le principal apport de la pédagogie Steiner-Waldorf dans votre vie professionnelle ?

« Je pense que cette école m’a totalement correspondu, ou en tout cas j’ai correspondu à l’école, parce que, encore une fois, tout était artistique, même les maths.  On avait un prof de maths qui était architecte, donc on a découvert aussi les maths à travers l’architecture.  Comme tout était lié au concret des choses, comme on allait voir des monuments, il y avait des artistes qui venaient, etc., de toute façon c’était déjà de l’ouverture, c’était déjà de l’artistique.  Et c’est vrai que moi, je sens vraiment ma force, je sens que je la tiens aussi de cette éducation-là, de cette façon qu’on a eu de nous donner confiance, de nous faire essayer plein de choses. »

« Et moi dans mon travail je m’en sers beaucoup, puisque je suis comédienne, je suis autrice, je suis sur scène, et je crois que dès mon plus jeune âge j’ai eu la possibilité d’être sur scène, dans une école Waldorf, et en fait ça ne m’a jamais quitté.  Mais voilà ça s’est fait, au départ je pensais que j’allais m’occuper d’artistes et puis finalement je suis devenu artiste, et puis après j’ai commencé à écrire, et puis maintenant je produis, et puis je suis pédagogue aussi, et en fait tout ça est une continuité.  Je crois qu’en fait, je n’intellectualise pas ce que j’ai vécu.  C’est. »

Les écoles Steiner-Waldorf, « c’est super pour les artistes »…

« C’est super pour les artistes, mais en fait je trouve que c’est très réducteur de dire ça.  Moi j’ai des copains chercheurs, des pointures, j’ai des copains qui sont astrophysiciens, d’autres qui sont des techniciens ou des techniciennes, etc.  Ce n’est pas du tout une école d’artiste, c’est une école, dans laquelle il y a des artistes, ou pas. »

Qu’est-ce que l’anthroposophie selon vous ?

« Qu’est-ce que l’anthroposophie, ha.  Eh bien… je ne sais pas.  En fait je ne l’ai pas étudiée. »

De l’importance des rituels dans les écoles Steiner-Waldorf

« Je réalise maintenant à quel point ce qu’on a vécu était primordial : on a vécu des rituels.  Mais ça, ça ne peut pas s’entendre.  Mais c’est très beau les rituels, on manque de rituels.  Les rituels, je me souviendrai toute ma vie, à 7 ans, je rentre dans une spirale, pour allumer une bougie, voilà, c’est tout.  Et on ne m’a pas dit « tu vas prier un dieu, tu vas faire… ».  Je suis rentrée dans une spirale faite de branches, et le plus beau c’était presque encore de le voir années après années ; et quand j’étais en 8ème classe, d’être la marraine d’un petit, qui rentrait à l’école et qui a pu aller dans cette spirale.  Mais qu’est-ce que c’est qu’une spirale… en fait c’est millénaire, je veux dire rentrer, faire des rituels. »

« Donc on nous a imposé des rituels via les religions, quelles qu’elles soient, qui sont très enfermantes, on a séparé le corps et l’esprit, on a séparé l’âme et le matériel : on a séparé, on a séparé l’être en fait.  Et je réalise moi, maintenant, à quel point en fait cette pédagogie, que je n’ai pas étudiée mais je pressens tout ça de ce que j’ai vécu, rassemblait l’homme, permettait une unité en fait, quelque chose d’holistique. » 

« Mais tous ces mots font peur, rituel fait peur, holistique fait peur, humain, vivant fait peur, parce que ça va contre un état du monde qui veut puiser, épuiser, se servir, monnayer, voilà.  Mais c’est pour cela qu’il y a aussi des mouvements qui ne sont pas sectaires, mais qui sont plein de mouvements de peuples primitifs qui reviennent, qu’on a essayé d’éteindre parce que ça fait peur les aborigènes, ça fait peur les amérindiens, ça fait peur les…  et en fait je pense que Steiner, que je n’ai pas du tout étudié – donc là je vous dit un truc complètement intuitif –, était complètement empreint de tout ça. »